Par Aicha Chir Nour
Garba Haroun, 16 ans, vivait paisiblement avec sa famille à Baga, un village sur les rives du Lac Tchad où la plupart des habitants subsistent de la pêche. Mais un jour, tout a basculé. « La rumeur courait depuis quelques temps déjà. Les combattants de Boko Haram avaient pris l’habitude de kidnapper des jeunes comme moi pour les forcer à rejoindre leurs troupes, certains de mes amis ont disparu et aucun n’est revenu vivant » raconte-t-il, amer.
L’été 2015, lui et sa famille décident de fuir en pirogue vers le Tchad. Arrivé à Ngouboua, de l’autre côté de la rive du Lac Tchad, Garba fait très vite la rencontre d’Ila Youssouf, 15 ans, un jeune tchadien originaire du village. «Dès la premiere fois, le courant est passé entre nous. Il parlait la langue Peule comme moi. Très vite on est devenus amis. Il m’a dit qu’il voulait apprendre le français alors je l’ai amené chez mon maitre d’école pour qu’il s’inscrive, » raconte Ila, tout sourire.
Plus de 80% des enfants réfugiés venus du Nigéria dans la région du Lac, n’ont jamais eu la chance d’aller à l’école. « A Baga, j’aidais plutôt mon père à pécher, je n’ai jamais pensé que je mettrais les pieds à l’école. C’est comme ça, tu as ceux qui peuvent aller à l’école et devenir Ministre et ceux qui resteront pêcheurs ou agriculteurs toute leur vie, comme leurs parents et leurs grands parents, » ajoute Garba.
Février 2016, la violence rattrape les deux amis. Ngouboua a été attaqué par Boko Haram, de nombreuses personnes ont été tués y compris le chef du village. Dans la panique, les familles se sont séparées. Garba me raconte ce moment difficile : « J’étais vraiment en colère parce qu’après avoir tout laissé au Nigéria, je commençais à refaire ma vie ici. J’ai trouvé ça très injuste parce que nous n’avons rien fait de mal. » Ila le coupe et ajoute, «tout ça, ce sont des problèmes de grands ».
Par chance, Ila et Garba se retrouvent tous les deux dans le camp de réfugiés de Daresalam où la plupart des réfugiés du Nigéria et des déplacés tchadiens se sont installés pour retrouver un semblant de vie normale. « Arrivé à Daresalam, j’ai demandé aux gens s’ils connaissaient un certain Ila. On m’a dit qu’il était le délégué de classe de l’école qui porte le nom « Espoir » confie Garba avec un grand sourire avant d’ajouter « C’est là qu’on s’est retrouvé et j’ai repris le chemin de l’école, pour de bon j’espère. »
Quand je leur ai demandé s’ils se disputaient, Ila me répond « Oui, comme tous les amis mais on arrive toujours à se comprendre. Garba a un côté enfantin. Il a 15 ans mais il joue encore aux élastiques pendant que moi je préfère jouer au foot. J’adore imiter les techniques de jeu de Messi, » ajoute-t-il en faisant des passements de jambes avec un ballon imaginaire dans la salle de classe ce qui les fait tous deux éclater de rire.
Avant de partir, Garba me confie « Je ne veux plus repartir au Nigéria. Je veux rester ici et continuer à aller à l’école. Avant je ne pensais qu’à faire comme père, mais j’ai compris que chaque enfant doit étudier s’il veut vraiment aider ses parents, » conclut-t-il.
Les professeurs sifflent soudain la fin de la récréation. Je leur fais la promesse de revenir les voir, ce à quoi ils me répondent « Nous on promet d’aller jusqu’au bout de nos études et de devenir des grands hommes demain ! »
Garba est timide, presque secret, Ila est plutôt rieur et taquin mais les deux ont un potentiel incroyable. Je pars en espérant qu’ils puissent apprendre davantage pour qu’un jour, ils puissent réaliser leurs rêves. Des millions d’enfants comme ces deux amis ne jouissent pas de leurs droits à cause des conflits. Il est possible de changer cette situation et créer les conditions pour que tous les enfants aient une chance égale de survivre, de se développer, et d’atteindre leur plein potentiel. C’est la recette simple pour une société plus juste.