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LES PREMIERES FEMMES COUTURIERES DE MANI

par Martina Palazzo

Mani est un village à proximité du Lac Tchad à quelques kilomètres de la frontière avec le Cameroun, dans lequel résonne l’écho des violences armées. Une scène, peu habituelle pour les habitants de ce village, attire l’attention. Aissata et Klemaram, en blouse blanche, avec un ruban à mesurer autour du cou, se retrouvent à la porte de l’atelier Amadif dans le quartier Mussogome, prêtes à débuter une nouvelle journée de travail.

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Aissata et Klemaram se retrouvent devant l’atelier au petit matin. ©UNICEF CHAD/ 2019/ Palazzo

Les deux jeunes femmes font partie des premières couturières du village. « Cela fait quelque mois, auparavant, il n’y avait que des ateliers gérés par des hommes, majoritairement pour les hommes. Nous les femmes, nous avions des difficultés à nous procurer des vêtements, car selon la culture locale, les hommes ne peuvent pas prendre les mesures sur un corps féminin », nous témoigne Klemaram.

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Klemaram, 26 ans, prend les mesures d’une cliente à son atelier. ©UNICEF CHAD/ 2019/ Palazzo

Aujourd’hui à Mani il y a 5 nouveaux ateliers, tous dirigés par des femmes. Elles se partagent l’espace et l’emploi du temps : rassemblées en groupe de 4 ou 5 les couturières s’alternent d’une semaine à l’autre, toujours en respectant les règles établies. Ces femmes, 45 au total, ont pu devenir couturières grâce à une formation professionnelle de 3 mois. Financé par le Fond pour la consolidation de la Paix (PBF) et appuyé par l’UNICEF et le PNUD, le cycle d’apprentissage s’est déroulé sous le mentoring d’un artisan local. Ce dernier continue de soutenir ces femmes, grâce à des conseils, recommandations et astuces pour transformer un tissu en vêtements tout à fait convenables.

Les revenus hebdomadaires sont d’environ 15-20 $ par groupement, même si ces montants restent modestes pour l’instant, ils assurent l’achat de la matière première et la réparation des machines en panne. L’objectif est d’investir pour toucher les villages aux alentours, même au-delà de la frontière. « J’ai beaucoup de contacts a Chowé* grâce à mon travail précèdent. Ils peuvent m’aider à vendre nos habits à nos sœurs camerounaises » déclare Aissata. Avant de s’approcher d’une machine à coudre, elle était commerçante et vendeuse de poissons. Cela ne la satisfaisait pas et devait souvent être loin du foyer familial. « Maintenant, j’ai beaucoup plus de temps pour moi et ma famille. Je vends encore du poisson, mais plus rarement, lorsque j’ai besoin d’argent. »

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Aissata, 20 ans, est en train de coudre. Elle veut continuer à se professionnaliser et toucher de plus en plus de clientes à Mani et dans les villages aux alentours. ©UNICEF CHAD/ 2019/ Palazzo

Avec pour objectif d’autonomiser les femmes et les jeunes par l’apprentissage d’un métier, le projet invite aussi les communautés à participer à des dialogues transfrontaliers, tout en promouvant des valeurs de tolérance et une cohabitation intra et inter-communautaire à travers des causeries. Aujourd’hui, les couturières de Mani se rencontrent pendant les jours de cotisation, les fêtes, les jours du marché, et échangent sur la cohabitation pacifique.

Les nouvelles couturières de Mani, en plus d’avoir une profession, ont désormais une nouvelle vision du vivre ensemble.

*Chowé est un village frontalier au Cameroun

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Le projet PBF transfrontalier Tchad-Cameroun a principalement visé à renforcer les mécanismes transfrontaliers, inter et intracommunautaires pour l’atténuation des conflits et de l’extrémisme violent, ainsi que de renforcer les capacités et les opportunités des populations vulnérables afin d’instaurer un climat de cohésion sociale, paix et stabilité dans les zones frontalières entre les deux pays. D’une durée de 22 mois, le projet a bénéficié des synergies entre quatre agences des Nations Unies (UNICEF Tchad et Cameroun, PNUD Tchad et Cameroun) pour optimiser l’impact sur les populations locales, tout en promouvant la coexistence et la résolution pacifique des conflits.

L’engagement communautaire bâtit le chemin vers le développement local

Par Martina Palazzo et Noe Reouebmel

Nous sommes dans le district sanitaire de Bokoro, en pleine ceinture sahélienne du Tchad, où environ 16.000 personnes vivaient méconnaissant l’état sanitaire de leurs villages. Presque la totalité de ces gens – 98% d’après une enquête conduite par UNICEF et la Croix Rouge Française en juillet 2018- pratiquaient la défécation à l’air libre mettant à risque de maladies diarrhéiques 10. 405 enfants. Et ici, à Abgode, il ne faut pas oublier, la diarrhée tue un enfant sur trois.

UNICEF et la Croix Rouge Française (CRF), grâce au support financier de KfW Development Bank, ont décidé d’intervenir afin de donner une réponse aux urgences d’ordre hygiéno-sanitaire et sont descendus sur le terrain cote à cote des communautés pour les transformer en acteurs résilients et actifs. D’abord une auto-analyse de la situation sanitaire, ensuite l’élaboration d’une vision commune vers un environnement sain pour les enfants, enfin un plan d’action endossé par les chefs traditionnels et les autorités : voilà comment les communautés se sont fait agents du développement local. Nous sommes au tout début de l’impulsion d’une dynamique communautaire par l’Approche Assainissement Total Piloté par la Communauté (ATPC).

L’ATPC a été privilégiée pour stimuler d’un côté la mobilisation communautaire dans les villages à assainir, et de l’autre côté bâtir sur cohésion sociale instaurée et promouvoir l’autonomie des femmes. Ainsi, UNICEF et la CRF ont outillé des groupements féminins dénommés « Club de mères » pour conduire des activités génératrices de revenus. Ces femmes ont vite pris le contrôle et conduit leurs villages vers l’abolition de la pratique de déféquer à l’air libre.

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Membres du « Club de meres d’Abgode ». ©Unicef Chad/2019/Reouebmel

 

« Avant le programme, nous avions connu beaucoup de difficultés dans la vie au quotidien. Nous n’avions pas de latrines dans nos concessions. Pour se soulager, nous devions prendre notre Sakane[1] et faire des centaines de mètres. Ceci est plus pénible pour une personne malade ou si c’est la nuit qu’il faut faire ce déplacement. Nous buvions de l’eau prise dans les mares sans traitement et nous n’avions pas l’esprit ouvert pour nous organiser en vue de mener des activités pouvant nous permettre de gagner de l’argent pour subvenir à nos besoins. », nous témoigne Mme Fatimé Adoum Idriss, présidente du Club des mères « ALMA HANNA » (Solidarité en arabe) du village Abgode, lors de la cérémonie de certification des villages ayant atteint la fin de la défécation à l’air libre (FDAL).

En 1 an, UNICEF et la CRF ont joint leurs efforts pour réhabiliter et construire 30 forages équipés de pompes à motricité humaine. Les capacités des groupements de femmes ont été renforcées au traitement d’eau à domicile mais aussi à la construction de dalles dont les revenus vont dans une caisse commune de solidarités de santé.

«Depuis, notre village a un autre visage et la population a acquis un autre comportement. Particulièrement nous les femmes, nous avons gagné beaucoup de choses à travers ce projet. Plus besoin de faire des distances pour se soulager, nos latrines sont dans nos concessions. Nous avons de l’eau potable dans le village et en plus, nous sommes outillées pour traiter l’eau avant de la boire. Ça nous laisse du temps pour faire autre chose », continue Fatimé.

Le surplus du temps dont elle parle est précieux en raison du fait qu’il leur permet de se dédier à des nouvelles activités génératrices de revenu, telles que la transformation des produits alimentaires, ou bien la vente des dalles construites. Tout au long de la mise en œuvre du projet, les femmes ont été accompagnées dans l’identification des activités, la formation et l’appropriation des outils qui leur ont été offerts par UNICEF et la CRF.

Fatimé nous a présenté la décortiqueuse de ce groupement de femmes. «Ce moulin permettra de décortiquer le mil, un travail qui nous épuise parce que demandant assez d’énergie pour piler au pilon et qui prend du temps. Désormais, nous allons consacrer le temps passé pour mener d’autres activités. Dorénavant, nous nous sentons comme nos sœurs de la ville qui ont ces facilités. Cette décortiqueuse nous fera gagner de l’argent pour notre groupement et notre caisse de solidarités Santé et pour le développement du village».

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Mme Fatimé Adoum Idriss à côté de la décortiqueuse. ©Unicef Chad/2019/Reouebmel

Et sur le futur, elle dit : « Avec les recettes qui seront générées par l’exploitation de ce moulin, nous pensons les investir pour créer d’autres activités génératrices de revenus. ».

Grâce au leadership de ces femmes, l’engagement des leaders traditionnels et des communautés, 16,000 personnes vivent désormais dans des villages assainis. Mais UNICEF et la CRF ont investi aussi sur le long-terme, tout en croyant dans le moteur de l’engagement communautaire pour le développement.  Grace à leur appui, les populations locales ont pérennisé leurs nouveaux acquis et renforcé la résilience.

[1] La Sakane est une bouilloire utilisée au Tchad pour le lavage des mains et le nettoyage anal.

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Ce projet, financé par KfW Development Bank depuis Décembre 2017, cible près de 606 000 personnes vivant dans les provinces de Kanem, Barh El Gazal and Hadjer Lamis en pleine ceinture sahélienne au but d’améliorer l’accès aux services de santé et assainissement de qualité.