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QU’EST-CE QUE LA PAIX QUAND LA VIOLENCE FRAPPE A LA PORTE ?

par Martina Palazzo

Dix ans après le début de la violence armée, le bassin du Lac Tchad reste un endroit d’abus et de violations des droits. La faim et la malnutrition demeurent omniprésents et environ 2.5 millions de personnes se déplacent à la recherche d’un endroit où ils pourront vivre en paix (OCHA/Juin 2019). Cette situation incite les jeunes, désespérés par le manque d’opportunités socio-économiques, à se laisser emporter par l’appel de la violence, rejoindre les mouvements extrémistes et perdre toutes perspectives futures.

Les jeunes d’Hadjer-Lamis, province voisine du Lac et frontalière avec le Cameroun, ne baissent pas les bras. Ils sont la preuve que la motivation, l’enthousiasme juvénile et la conscience civique sont plus forts que toutes armes. Dans cette province, 300 jeunes, dont 150 femmes, ont bénéficié d’un cycle de formation professionnelle, pendant trois mois, en couture, mécanique, culture maraichère, pêche et menuiserie. Ces jeunes ont également pu participer à de sessions de sensibilisation sur la cohabitation pacifique intra et intercommunautaire.

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Quatre jeunes de Mani en stage professionnel de menuiserie. ©UNICEF CHAD/2019/Palazzo

« J’ai participé à une formation en mécanique. J’ai compté les jours : 46 au total. Avant, je chômais au quartier et je passais mes journées à jouer au football, c’était seulement pendant la saison des pluies que je pouvais aller au champ », témoigne Ousmane, jeune de 20 ans habitant à Mani. « J’ai toujours voulu devenir mécanicien et finalement je réalise mon rêve. Aujourd’hui je peux déjà faire des réparations, ce qui me permet de trouver du savon*. »

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Ousmane, 20 ans, est un jeune de Mani. Il veut devenir un mécanicien. Il a participé à la formation en mécanique. ©UNICEF CHAD/2019/Palazzo

Ousmane est l’un des 14 jeunes de Mani qui ont participé à la formation en mécanique, grâce à l’appui financier du Fond pour la consolidation de la paix (PBF) et le soutien de l’UNICEF et le PNUD.

Pendant les formations, les jeunes ont été sensibilisés sur la cohabitation pacifique et la solidarité entre communautés, deux principes clés pour favoriser le développement local. Ils ont compris que la paix se construit, ce n’est pas un acquis ; c’est un engagement au quotidien et celui-ci nécessite des compromis. Ils en parlent en groupe, en famille, ils font désormais davantage preuve de tolérance et sont plus enclins d’être à l’écoute des autres. La paix est devenue un objectif commun, car « la paix est vivre ensemble et bien », nous dit Mahamat Atim, 18 ans. « Nous écoutons les informations à la radio pour ensuite en discuter ensemble, même avec nos frères de Chowé ». Chowé est un village situé au Cameroun, au-delà de la rivière qui sépare les deux pays, mais pas les communautés sœurs.

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Mahamat a 18 ans, il sait qu’il veut vivre en paix. ©UNICEF CHAD/2019/Palazzo

« Maintenant la population se sent en sécurité », dit Abichou, président du Comité de Vigilance de Mani. « Nous appuyons les forces de l’ordre pour sécuriser la ville pendant les rassemblements tels que les marchés, les mariages, les deuils. C’est pour nous un engagement citoyen qui contribue à diminuer la probabilité d’actes terroristes et assurer la paix à nos enfants ».

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Abichou, président du Comité de Vigilance de Mani, a une mission : assurer la sécurité de la population. ©UNICEF CHAD/2019/Palazzo

Abichou et ses collègues ont pour objectif d’instaurer un climat de sécurité et sérénité, un monde dans lequel prône les rencontres et le vivre ensemble, en dépit des menaces de violence.

La paix ne se construit pas du jour au lendemain, mais ensemble, nous pouvons y arriver.

*Expression locale qui signifie subvenir aux besoins de base

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Le projet PBF transfrontalier Tchad-Cameroun a principalement visé à renforcer les mécanismes transfrontaliers, inter et intracommunautaires pour l’atténuation des conflits et de l’extrémisme violent, ainsi que de renforcer les capacités et les opportunités des populations vulnérables afin d’instaurer un climat de cohésion sociale, paix et stabilité dans les zones frontalières entre les deux pays. D’une durée de 22 mois, le projet a bénéficié des synergies entre quatre agences des Nations Unies (UNICEF Tchad et Cameroun, PNUD Tchad et Cameroun) pour optimiser l’impact sur les populations locales, tout en promouvant la coexistence et la résolution pacifique des conflits.

 

Une « génération connectée » engagée pour un monde plus juste

Par Alphonsine et Nathan*

Souleymane Mahamat est un expert en informatique. Approchant la trentaine, ce jeune tchadien dynamique de taille moyenne cherche encore comment exploiter tout son savoir. Malgré son diplôme en informatique, il n’a pas trouvé un travail qui correspond à ses qualifications et quand on lui en propose, le salaire est toujours dérisoire. C’est ainsi qu’il décide un bon matin de créer un cyber café. Son cyber café dénommé ‘’interconnexion’’ est situé au quartier Sabangali à côté de l’ONRTV. Un modeste local divisé en deux salles. L’une est encore en aménagement, l’autre contient 6 ordinateurs de bureau, 8 chaises pivotantes, une imprimante et une machine à reliure.

Il est 9 h quand nous arrivons mais le cyber est encore vide. Souleymane nous explique qu’il reçoit par jour une dizaine de clients en majorité des jeunes tchadiens. Il nous explique qu’ils viennent pour la plupart envoyer ou télécharger des fichiers sur internet, très peu de jeunes restent longtemps devant leurs ordinateurs pour s’informer et se cultiver. Le tarif de connexion du cyber est de 750 FCFA. Au Tchad, être « connecté » reste encore un luxe inabordable pour beaucoup.

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‘’On est présentement en promotion, on est obligé de réduire le prix pour attirer du monde » affirme-t-il. Le tarif est certes moins cher que ses concurrents mais encore trop cher pour les jeunes habitants de la capitale.

Un peu plus loin, nous rencontrons un jeune du nom de Mahamat Nour, il est âgé de 17 ans. Lorsque nous l’interrogeons, il nous confie que lui se connecte sur internet grâce à son téléphone portable pour accéder à Facebook et échanger avec ses amis. ‘’ Les cybers cafés sont chers. Avec mon téléphone portable, même avec 200 FCFA je peux me connecter. Son ami, Josué, 17 ans est en classe de 5eme. : « J’utilise internet pour faire des recherches pour mes études ou chercher le sens de certains mots difficiles. Je me sers tout le temps de mon téléphone portable. »

Depuis l’arrivée d’internet au Tchad, notamment grâce à la téléphonie mobile, les jeunes tchadiens s’y intéressent beaucoup mais le prix est trop élevé pour eux et le débit de connexion est souvent trop lent. Nous, par exemple, avons l’habitude de traverser le pont de Ngueli pour nous connecter dans les cybers café à Kousseri, au Cameroun voisin. Là-bas, la connexion est meilleure et le tarif est de 500 FCFA l’heure. Les clients les plus fidèles comme nous pourrons même bénéficier de 3 heures de connexion pour 500 FCFA. Une vraie aubaine.

A quand une connexion abordable et de qualité pour les jeunes tchadiens ? Internet est un moyen de communication et d’information incontournable, si les jeunes tchadiens manquent le train de la technologie, ils n’auront pas accès aux mêmes ressources que les jeunes des autres pays ce qui risque de contribuer encore un peu plus à ce qu’on appelle la « fracture numérique » entre les jeunes des pays connectés et les autres. Pour un monde plus juste, la future génération doit être une génération connectée !

*Alphonsine et Nathan, membres du club des jeunes reporters ont participé à un atelier organisé à la Maison des Médias sur le thème « les jeunes dénoncent les inégalités » en anglais : #FightUnfair. Un groupe de 9 jeunes reporters sélectionnés accompagnés par de professionnels ont pu développer des produits créatifs (caricatures, visuels, etc.) sur le thème des inégalités.

« Chers auditeurs, vous avez l’antenne »

Par Badre Bahaji

« Au micro de la Radio Communautaire de Mongo, je suis Florence Jacob, chers auditeurs, on dit souvent qu’il vaut mieux prévenir que guérir, alors, aujourd’hui avec notre invité, nous allons parler des moyens de prévention du paludisme… »

L’entrée en scène, sous un fond musical decrescendo est parfaite et l’émission démarre dans une ambiance rythmée et maitrisée. Suis-je en face d’une journaliste chevronnée ? Suis-je dans le studio d’une grande radio nationale ? Non, Florence, une jeune fille frêle aux yeux pétillants, est une bachelière de 19 ans, membre des Jeunes Reporters Club de Mongo.

« On présente surtout des émissions qui intéressent les jeunes et des émissions sur la santé. Par exemple quand on a entendu qu’il y avait un risque d’épidémie de choléra, on a fait une émission spéciale sur les bons gestes à adopter et les pratiques à éviter, » raconte la jeune fille qui n’a pas peur de parler de sujets sensibles ou tabous comme les méfaits de la pornographie chez les jeunes.

La pertinence et le courage de Florence m’impressionne d’emblée. Florence habite à Mongo depuis trois ans. Malgré quelques difficultés à s’adapter dans ce nouvel environnement, elle est devenu une personnalité reconnue et appréciée chez les jeunes de la ville grâce aux émissions interactives qu’elle anime tous les samedis à la Radio Communautaire de Mongo (RCM) : « La radio, ça fait partie d’un tout. Je fais partie de clubs, d’associations et de collectifs de jeunes. J’espère bientôt intégrer l’université pour étudier le journalisme. »

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En attendant, elle fait parler son talent et résonner sa voix dans le studio où la chaleur est suffocante en cette fin d’après-midi. Son invité du jour est le spécialiste du paludisme à Mongo, Mr Yacoub Adouny.

Elle n’hésite d’ailleurs pas à pousser l’invité à répondre à ses questions, telle une vraie journaliste expérimentée. Les coups de fils des auditeurs s’enchainent et les réponses fusent. En moins de 45 minutes, j’ai l’impression d’avoir appris plus sur le paludisme que tout ce que je connaissais avant !

Prenons une respiration musicale avant de continuer

Vers la fin de l’émission, un auditeur pose une question inattendue : « certaines personnes sont prises d’hallucinations, et on pense souvent qu’ils sont envoutés, d’autres disent que c’est le palu’, est-ce que c’est possible ? » Florence, visiblement ravie de cette question, laisse le soin à Mr Adouny de répondre : « Oui c’est ce qu’on appelle le neuro-paludisme, une forme de paludisme aggravée qui touche le cerveau et peut provoquer des hallucinations. Le problème, c’est l’ignorance, on préfère accuser le voisin que de chercher des raisons médicales. »

Agés de 12 à 20 ans, les membres des Jeunes Reporters Clubs (JRC) portent haut la voix des jeunes dans tout le Tchad, de Moundou à Abéché en passant par N’Djaména et bien sûr Mongo. Formés par l’UNICEF aux techniques journalistiques et à la production radiophonique, les JRC sont le symbole de l’engagement et du dynamisme de la jeunesse tchadienne.

La fin de l’émission approche, la fatigue commence à se lire sur le visage des deux protagonistes enfermés dans le studio depuis presque une heure. Un signe vient de la cabine extérieure, poussant Florence à conclure : « Chers fidèles, c’est la fin de votre programme, merci pour votre temps, je suis Florence Jacob, je vous dis à bientôt pour une nouvelle émission et restez branchés sur la RCM. »